Par Corentin Barsacq
Devant tous les monuments aux morts de France ce vendredi, habitants et élus rendent hommage aux soldats morts pour la France. À Belin-Béliet, des témoignages subsistent comme celui de Jean Henri Barsacq. Décédé en 1985, il avait connu Verdun, les obus et la violence de la Grande Guerre.
Il y a ces noms gravés à jamais dans le marbre d’un pays qui aura connu l’atrocité des tranchées. Ces noms portés par des âmes innocentes, qui n’auront hélas, pas eu la chance de revoir leurs proches. Et puis il y a ceux qui sont restés, ceux qui ont témoigné, ou bien ces soldats qui se sont murés dans le silence, préférant absorber seuls les stigmates de ce moment où le monde s’est déchiré. De ce vieil homme réputé comme étant dur et sans émotions, subsistent aujourd’hui des souvenirs et des médailles militaires.
Disparu en 1985, Jean Henri Barsacq n’était pas un grand bavard. Dans sa maison de la rue du stade, l’homme avait un visage froid, le ton ferme. Sans doute un héritage des tranchées qu’il avait connu durant sa jeunesse. Né dans la commune de Rion-des-Landes le 11 juin 1897, il rejoint rapidement Belin-Béliet aux côtés de ses parents.
Dans le massif forestier des Landes de Gascogne, le jeune homme de l’époque se fait les bras et devient résinier. Entre temps, il apprend à lire et à écrire. Il n’a même pas la vingtaine lorsque les hommes en âge de combattre sont appelés au front en 1914. Lui sera mobilisé le 28 août 1916. À l’âge de 20 ans, il délaisse le hapchot pour les baïonnettes et rejoint les rangs d’une armée meurtrie. Mesurant 1m57, le visage long et les yeux d’une couleur marron foncé, le jeune homme s’apprête à prendre part à de féroces combats contre l’ennemi allemand.
« On sent la mort à chaque pas »
D’abord au sein du 108e régiment d’infanterie avant d’intégrer le 2e régiment d’infanterie coloniale, le 16 décembre 1917. Un des régiments considérés comme martyr de la France, comptant plus de 20 000 tués et blessés. Présent sur les fronts les plus meurtriers, il est amené à se reconstituer à dix reprises. Henri Barsacq fait donc parti d’une nouvelle salve de soldats.
Du sang neuf, mais du sang prêt à couler dans les tranchées de Verdun. « On sent la mort à chaque pas. Les milliers de morts eux-mêmes tombés là depuis février 1916 ne dorment pas en paix, leurs tombes sont retournées par la mitraille » écrira un officier dans le rapport d’activité du régiment, louant le mérite de son groupe : « Le 25 septembre, l’ennemi a lancé une forte attaque pour reprendre une position. Il a subi un échec complet, grâce à la résistance héroïque des troupes que nous avons relevées. »
De ce champ de bataille érigé en emblème de la violence inouïe de la guerre, Henri Barsacq se souviendra pendant longtemps du gaz inhalé par le grand usage des obus à gaz toxiques des Allemands. Mais le Beliétois tiendra bon jusqu’au bout, tout comme le régiment colonial, faisant preuve d’une résistance héroïque. Les soldats seront par la suite déployés sur le secteur de Troyon, Rouvrois et Saint-Mihiel dans la Meuse, de novembre 1917 à avril 1918.
Dès lors qu’il fut relevé, le régiment pris la route de la Somme, sur le front de Mailly-Raineval. Le 8 août 1918, alors que les soldats français préparent une attaque sur une position allemande, Henri Barsacq se démarque par son sens du courage. Une citation militaire en atteste : « Un soldat courageux, digne d’éloges, qui a fait preuve, au cours de la journée du 8 août 1918, d’un sang-froid remarquable au passage de l’Avre, sous les feux des mitrailleuses. Très bel exemple. »
« La guerre, le plus grand voyage de ma vie »
À la fin de la guerre, Jean Henri retourne à ses occupations. « Il ne parlait jamais de la guerre » se souvient l’un de ses petits-fils. Avec l’âge, la parole s’est peu à peu libérée. Le soir de Noël, lors du repas familial, il avait pour habitude de répéter une anecdote terrible : « Le soir de Noël sur le front, nous avions pu acheminer une dinde qu’on souhaitait se partager à six soldats. Sur ces six, nous ne sommes que deux à être revenus d’un assaut que l’on avait mené contre une position allemande dans la journée. Nous n’avons pas eu le cœur à manger cette dinde. »
Sa voix grave et son air froid rajoutaient une forme de gravité aux propos qui ne donnait pas lieu à des commentaires. Souvent, il disait que la Grande Guerre fut « le plus grand voyage de ma vie». Une pérégrination dans laquelle il avouera avoir grandement souffert du froid et de l’humidité. En guise de récompense de son engagement, Henri Barsacq sera cité à l’ordre du régiment et obtiendra la Croix de Guerre 1914-1918 ainsi que la médaille en bronze de Verdun.
Réformé au début de la Seconde guerre mondiale afin d’éduquer son fils Jacques, privé d’une mère décédée durant son enfance, il sera, en guise de récompense de son engagement, cité à l’ordre du régiment et obtiendra la Croix de Guerre 1914-1918 ainsi que la médaille en bronze de Verdun. À l’orée de sa mort, en 1983, il recevra, à l’âge de 86 ans, le plus prestigieux des honneurs et la plus importante des distinctions : la Médaille militaire. Une cérémonie avait eu lieu pour l’occasion à la salle des fêtes de Béliet en présence de sa famille, les élus de la commune et un représentant des armées.
Henri Barsacq s’est éteint le 17 novembre 1985, emportant avec lui des secrets bien gardés, notamment sur de mystérieuses informations dont il avait connaissance, comme des attaques de convois allemands sous l’Occupation.