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Val de l’Eyre : Sylvain Dornon, le Sallois qui avait rallié Paris à Moscou sur ses échasses

Par Corentin Barsacq

Photographie de Sylvain Dornon sur ses échasses./Reproduction en couleur LB
Photographie de Sylvain Dornon sur ses échasses./Reproduction en couleur LB

A la fin du XIXe siècle, un échassier né à Salles se fait un nom dans les grands journaux parisien. Sylvain Dornon grimpe d’abord la Tour Eiffel à l’aide de ses échasses en 1889, avant de prendre le départ à Paris, direction Moscou. 

 

« L’histoire de Sylvain Dornon, l’échassier national, circulera encore longtemps de bouche en bouche, dans toutes les langues, dans tous les pays… » Telles sont les dernières lignes du récit autobiographique de Sylvain Dornon, dont la destinée fera de lui le premier homme sur échasses à rallier Paris à Moscou en 1891. Bien avant cela, c’est sur les bords de la Leyre qu’il voit le jour un 3 décembre 1857 à Salles, d’un père tisserand et d’une mère cultivatrice.

Boulanger de profession, Arnaud dit Sylvain travaillait à Lugos en 1881, et épousa durant la même période la jeune Marie Foucaud. Le couple décida par la suite de s’installer à Arcachon. Six enfants naîtront de cette union. Au sein de la station balnéaire, Sylvain Dornon découvre une vie festive en plein essor. Boulanger au sein d’un établissement situé rue du Casino, l’homme cultive une passion singulière pour l’outil indispensable aux bergers landais. 

 

Sylvain Dornon aime en effet les échasses, et s’imagine déjà être « tranqué » dans les rues de la ville. Alors que l’agro-pastoralisme s'essouffle à travers les Landes de Gascogne, conduisant à la fin des bergers landais, le natif de Salles élabore plusieurs danses d’échasses, qui ne tardent pas à rassembler ses amis. Durant l’été 1889, il organise une première course qui rencontre un franc succès. Sous son impulsion, des tchanquayres décident de créer un spectacle. Le 4 août 1889, le parc du Casino d’Arcachon voit des hommes perchés sur des jambes de bois danser et faire la course. La réussite est totale, la discipline semble attirer l’œil d’un tourisme naissant.

 

La Tour Eiffel, une occasion en or

 

Mais les prouesses à échelle locale ne suffisent pas à Sylvain Dornon. Lui et ses jambes boisées prennent alors la direction de Paris. Dans la capitale, l’Exposition Universelle de 1889 est l’évènement à ne pas rater d’autant qu’un certain Gustave Eiffel vient tout juste de présenter un bijou architectural de fer, la Tour Eiffel. Alors l’Arcachonnais s’y rend et entreprend la montée du monument en échasse. Il atteindra le deuxième étage devant une foule ébahie par la performance. 

Gravure représentant Sylvain Dornon, place de la Concorde./Archives L'Illustration.
Gravure représentant Sylvain Dornon, place de la Concorde./Archives L'Illustration.

À la suite de son escapade parisienne, l’échassier revient à Arcachon. Du côté de la presse parisienne, on parle de lui comme étant Landais, ancien berger reconverti boulanger, mais la performance n’offre pas la visibilité espérée par l’enfant de l’Eyre. Les journaux de l’époque sont particulièrement friands des longs voyages, notamment ceux de Russes traversant le continent pour se rendre à Paris. Le déclic vint alors d’un certain lieutenant Winter, un officier russe qui avait rallié la France : « Je résolus de lui donner la réplique en faisant mieux encore : je partirais de Paris et irais jusqu’à Moscou. » 

 

Aussitôt, Sylvain Dornon s’affaire à la création de deux paires d’échasses en bois blanc. Une mesurant 1m10 qui lui servira tout au long du voyage, et une autre paire mesurant 1m80 qu’il enverra directement en Russie. Dans une petite sacoche portée en bandoulière, il s’équipe de linges, de cartes et d’un revolver chargé tandis que son habit en peau de bique est surplombé d’un béret landais. 

  

58 jours entre Paris et Moscou

 

Le 12 mars 1891 fut le grand jour. Sur la place de la Concorde, l’échassier landais s’élance devant des milliers de personnes venues assister à ce spectacle étrange. Quelques kilomètres sont réalisés avant un premier arrêt pour un vin d’honneur en compagnie de la rédaction du Figaro. En quelques jours, il parvient à rejoindre Sedan, le Luxembourg puis Berlin. Arrivé de l’autre côté du Rhin, il fait face à la méfiance des Allemands. À cette époque, la montée du patriotisme en Allemagne se traduit par des insultes proférées à l’encontre du Français. Alors qu’il passe une nuit dans un hôtel, Sylvain Dornon est agressé verbalement par un journaliste. 

Pire, quelques jours plus tard, alors que Sylvain Dornon avait l’intention de se produire dans un cirque et avait donc pris un train afin d’effectuer ce détour, la presse allemande l’accuse d’avoir volontairement usé de ce moyen de locomotion pour rallier plus rapidement Moscou. Une partie de la presse française tourne alors le dos au tchanquayre pendant que l’accueil des populations germaniques se refroidit au fil des villes traversées. Non sans une certaine hâte, Sylvain Dornon quitte finalement le pays et file vers la Russie. Au bout de 58 jours de marche et quelque 50 kilomètres avalés quotidiennement, il parvient à ses fins. Le 10 mai 1891, il entre à Moscou et se rend à l’Exposition universelle qui s’y tient. 

 

Son retour à Arcachon ne suscita aucun engouement, ni même un accueil de la part de la population. Le récit de sa pérégrination ne tarda pas à s’ébruiter en Gironde, alors même que l’échassier national avait regagné son fournil. C’est à l’âge de 40 ans, en 1900, que la mort vint lui ôter ses échasses. Une mort dans l’anonymat, bien qu’il ait réussi sa propre mission : celle de faire connaître les échassiers et leurs spectacles. Bien plus tard, son nom sera donné à une rue de Salles et son histoire, comme il l'avait prédit, traversera les siècles.