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Reportage : à Joué, les bénévoles engagés dans le feu n’ont rien oublié

Par Corentin Barsacq

Sept bénévoles parmi tant d'autres ont accepté de revenir sur ce qu'ils ont vécu durant l'incendie de Saint-Magne./Photo CB
Sept bénévoles parmi tant d'autres ont accepté de revenir sur ce qu'ils ont vécu durant l'incendie de Saint-Magne./Photo CB

La guerre. C’est le terme qui revient dans tous les récits prononcés par les bénévoles mobilisés dans le quartier de Joué, lorsque l’incendie de Saint-Magne avait ravagé plus de 7400 hectares de forêt, dont une grande partie à Belin-Béliet. Plus d’un mois après l’incendie, ils témoignent. 

 

Ils s’appellent Frédéric, Damien, Florimond, Édouard, Jean-Marc ou encore Jérôme et Thomas et résident au sein du paisible hameau de Joué, distant de plusieurs kilomètres du bourg de Belin. Un samedi matin, trois semaines après l'incendie, ils ont accepté de se réunir à l'airial de Joué. Quelques cernes sont perceptibles. Non pas les preuves de leur engagement quelques jours auparavant, mais bien les traces laissées par le repas organisé la veille, entre tous les bénévoles de ce quartier qui baigne dans la quiétude. Une vie au cœur d’une ruralité attachante, que les habitants apprécient particulièrement. Mais le calme immarcescible du quartier forestier s’est brutalement éclipsé dans l’après-midi du mardi 9 août dernier, lorsqu’un incendie se déclenchait à Saint-Magne. Quelques semaines auparavant, le quartier avait déjà été exposé au premier feu de Landiras, lorsque la fumée avait envahi le secteur durant plusieurs jours : « J’avais évacué de moi-même » explique Thomas, fromager de profession. 

 

Lui n’avait jamais tenu une lance à incendie jusque-là. Pas plus que ses autres compères d’interview. Dans la soirée de ce sinistre mardi, les gendarmes se positionnent au carrefour du quartier et informent la population de l’évacuation à venir de Joué : « On voyait le panache de fumée devenir de plus en plus grand. On se doutait bien que ça partait dans tous les sens » explique Thomas. 

Thomas s'est retrouvé avec une lance à incendie dans ses mains pour la première fois de sa vie./Photo Le Belinétois.
Thomas s'est retrouvé avec une lance à incendie dans ses mains pour la première fois de sa vie./Photo Le Belinétois.

La mort dans l’âme, les habitants évacuent, mais d’autres préfèrent rester. Enfant de Joué, Frédéric évacue ses animaux, met ses affaires en sécurité, et revient finalement une demi-heure plus tard dans le quartier, pensant que le village allait disparaître. D’autres, comme Damien, ont décidé de rester : « Ma femme et mes enfants sont partis, et moi j’ai aidé ». Thomas a lui aussi évacué, non sans inquiétude : « A Joué, on a vu qu’un Dash à 19h. Il a fait trois largages et il est reparti. On était seuls. Quand on a vu les largages près de la maison, on savait que ça ne sentait pas bon. » 

 

Parmi les bénévoles présents pour raconter leur histoire, deux déplorent la destruction de granges ou annexes d’habitation. Sur la propriété de sa famille, Thomas déplore la perte de trois bâtiments ainsi que trois véhicules. Frédéric a quant à lui perdu sa palombière, quand Florimond a vu ses garages être réduits en cendres.  Dans la nuit du mardi au mercredi, il est notamment sur la piste de la Hontasse, lorsque les pompiers tentent l’allumage d’un contre-feu en dernier recours : « Les flammes étaient immenses, c’était l’apocalypse. » 

Hors-la-loi par obligation

 

Le mercredi matin, en prenant connaissance des dégâts, tous ont tenté de revenir : « On n’a pas eu de passe-droit. Les CRS ne nous laissaient pas passer » explique Florimond. Thomas rajoute : « Je savais que des civils étaient en train d’arroser ma maison. On a dû se mettre hors-la-loi en contournant les barrages mais les pompiers étaient heureux de nous voir ».

 

Ce jour-là, les soldats du feu luttent sur tous les fronts. Les flammes sont passées à Joué mais les reprises subsistent, et les moyens manquent : « Le mercredi matin, il y avait plus de journalistes que de pompiers. Mais c’est normal, ils devaient être partout en même temps » relate un bénévole, surpris par la méthode de certains professionnels de l’information : « Des journalistes se faisaient passer pour des habitants afin de s’approcher des maisons brûlées ou du feu ». 

Florimond a vu le feu ravager ses garages./Photo Le Belinétois
Florimond a vu le feu ravager ses garages./Photo Le Belinétois

Les habitants de Joué décident alors de s’unir pour former une équipe de renfort auprès du SDIS. Certains connaissent la forêt comme leur poche, d’autres disposent de drones pour suivre l’avancée du feu, ou connaissent des amis ayant des pompes, groupes électrogènes ou encore de l’eau. Mais l’aide tarde à venir. Le soleil de plomb tape sur les esprits, et l’avancée frénétique du feu pèse sur le moral des riverains. Des bénévoles parviennent à joindre le poste de commandement situé à Hostens et réclament plus de moyens. Ils obtiendront gain de cause dans la foulée. 

 

« Le mercredi après-midi, nous n’avions plus d’eau à Joué. Les pompiers devaient aller recharger dans la Leyre à Mesplet, et les premières bouteilles d’eau qu’on a pu avoir venaient de la ville d’Hostens. » Heureusement, la solidarité s’organise. Sous l’impulsion d’Alain de Sigoyer, la commune de Martignas achemine une moto-pompe permettant de puiser l’eau de l’étang de Joué. Pendant ce temps, les bénévoles de Belin-Béliet font le tour des différents quartiers pour apporter des vivres. 

 

On les surnomme « le SDIS de Joué »

 

Mais le temps presse, et les reprises sont nombreuses : « On s’est retrouvés seuls à faire des interventions rapides. Dès qu’un feu reprenait, on allait dessus pour l’éteindre » poursuit Thomas. Formé sur le tas, encadré par d’anciens sapeurs-pompiers, le groupe est finalement d’une utilité précieuse : « Ils ont sauvé des maisons » nous confiera un pompier reconnaissant.

Tous les bénévoles réunis lors d'un repas organisé après le feu./Photo DR
Tous les bénévoles réunis lors d'un repas organisé après le feu./Photo DR

Avec l’aide de la DFCI, ceux qui se surnommeront plus tard le « SDIS de Joué » alertent les camions de pompiers dès lors qu’un départ de feu est signalé. « C’était chaud et ça allait très vite. On n’avait pas de chaussures adaptées donc ça chauffait vite les pieds » raconte un bénévole. 

 

« On prenait les pompiers dans nos 4x4 pour les emmener sur les pistes afin qu’ils puissent évaluer la possibilité pour les camions d’entrer dans la forêt » relate quant à lui Frédéric. Près de l’étang de Joué, la piste cyclable s’est transformée en un point de ravitaillement bien huilé, organisé sous la houlette de Jean-Marc, les pieds dans l’eau. Des agriculteurs du grand sud-Ouest ont également rejoint la lutte, comme ceux de la CUMAT, venus de Pau. 

Les effectifs sont de plus en plus grands, Joué commence à voir le bout du tunnel dans la journée du vendredi. Certains bénévoles en profiteront pour dormir après plus de 48h sans sommeil, pendant que d’autres, avivés par l’adrénaline, continueront à œuvrer jusqu’au bout de la nuit. Chaque matin, ils se retrouvent sur l’airial de Joué, où les flammes se sont arrêtées à quelques mètres de la chapelle Saint-Blaise. Les plus poétiques y verront un signe que Joué était touché, mais pas résigné. Aux termes de ces longues journées de lutte, Joué comptera une cinquantaine de bénévoles avant que le brasier ne soit fixé. 

 

« S’il y a une prochaine fois, on restera »

 

Jamais, les bénévoles présents pour raconter leur histoire n’auraient pensé qu’un tel feu toucherait leur maison. « On ne s’attend jamais à vivre ça » explique l’un. « Mais la municipalité aurait dû s’y préparer après le premier feu de Landiras. On avait besoin de bénévoles ici » lâche un autre. 

 

Un mois après l’incendie, les habitants n’ont oublié aucun détail et n’ont pas assez de mots pour remercier les sapeurs-pompiers. Si certains avouent qu’ils comptent s’équiper en motopompe afin d’être prêts en cas de nouvel incendie, tous s’accordent à porter la même parole : « S’il y a un autre feu de cette ampleur, on restera. »