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Le combat d'Hélène pour l'euthanasie

Il y a quelques mois, je me rendais au domicile d’Hélène, dans le cadre d’une enquête sur la vision des personnes à mobilité réduite concernant les aménagements à Belin-Béliet. Lorsque nous avions évoqué sa maladie (la maladie de Charcot) et son handicap, elle me confiait vouloir entamer des démarches en faveur du droit à l’euthanasie en Belgique. L’article que j’étais censé écrire prenait donc une toute autre envergure. J’avais décidé de consacrer à Hélène une interview sur sa vision de l’euthanasie et son combat pour que ce droit soit autorisé en France. Une rencontre à la fois bouleversante et passionnante avec une jeune maman profitant de la vie avec une force et une philosophie incroyable. Depuis, Hélène s’est vu attribuer ce droit en Belgique.. Rencontre.

 

 

Interview réalisée pour l’hebdomadaire Le Républicain – Paru le 03 Août 2017.

 

Hélène Manson est une jeune femme belinétoise de 30 ans. Maman d’une petite fille de trois ans et demie, elle partage sa vie depuis 12 ans avec Thierry son époux. En Mars 2016, elle apprend qu’elle est atteinte de la sclérose latérale amyotrophique plus connue sous le nom de la Maladie de Charcot. Il s’agit d’une maladie neurodégénérative qui provoque une paralysie progressive mais totale, des troubles de la déglutition et respiratoires, ainsi que le décès dans les 3 à 5 ans suivant le diagnostic dans 80% des cas. Hélène prend conscience que pour elle, le temps est compté. Elle décide de se livrer sans filtre entre rire et larmes dans une interview pleine de courage et de lucidité. Elle s’est vu accordée le droit à l’euthanasie en Belgique il y a quelques mois. Dorénavant, c’est avec une sagesse qui force le respect qu’elle est au coté de sa famille. Loin de se laisser abattre, elle dresse un portrait fascinant de sa vie à travers une philosophie proche de l’optimisme. Son combat : le droit à mourir dignement en France.  

Elle a également envoyé une lettre au Président de la République Emmanuel Macron pour défendre le droit de mourir dans la dignité en France.

 

Corentin Barsacq: Comment la maladie s’est elle déclarée ?

                        

Hélène Manson : La maladie s’est déclarée très progressivement à partir de 2014. Au début, c’était simplement une instabilité à la marche puis j’ai enchainé les entorses. À ce stade là, évidemment je ne pensais pas à une maladie neurodégénérative puis j’ai du être opéré de la cheville et tout s’est enchainé car je ne récupérais pas. J’ai vu un premier neurologue qui m’a fait passer un électromyogramme puis il m’a envoyé au CHU de Bordeaux pour y effectuer un bilan. À ce moment là, on est en Mars 2016 et le diagnostic tombe. Le jour des 11 ans de rencontre avec mon mari.

 

CB : Lorsque les médecins vous annoncent qu’il ne vous reste qu’un potentiel de cinq ans à vivre, comment faites-vous pour garder le moral et penser à vivre pleinement le temps qu’il vous reste ?

 

HM : Bien entendu, on ne connait pas l’échéance exacte. Après, mon quotidien est très rythmé par la routine, comme un peu tout le monde avec des contraintes supplémentaires. Les aides à domiciles trois fois par jour, les cinq séances de kiné par semaine, les plannings à faire tous les mois pour organiser le quotidien. Alors c’est sur que j’ai une échéance, c’est une vraie épée de Damoclès mais en attendant je suis là, et je compte bien profiter un maximum. C’est maintenant, ce n’est pas plus tard. On apprend à apprécier les petites choses. Le soutien de mon mari, de ma petite fille et de mes proches m’aide au quotidien et malgré le fait que la maladie soit là, je ne me définis pas par mon handicap. Je reste avant tout, une épouse, une maman  et une amie avant d’être malade.

 

" C’est maintenant, ce n’est pas plus tard. " 

 

CB: A partir de quel moment avez-vous songé à l’euthanasie ?

 

HM : Très rapidement. Lorsque j’ai eu le compte-rendu du premier neurologue et que j’ai pris conscience de ce que je pouvais avoir, dont cette maladie, j’ai passé trois jours à pleurer et à paniquer à l’idée d’avoir une paralysie totale et de mourir étouffé. (Sa gorge se noue). Le seul moment où j’ai retrouvé mon calme, c’est au moment de prendre cette décision. Cela m’a énormément soulagé de me dire que je n’allais pas mourir étouffé, que j’avais une autre solution qui s’offrait à moi. De toute façon, sur l’euthanasie, j’avais la même opinion il y’a 15 ans et tout ce qui a pu se passer dans ma vie n’a fait que me conforter sur cette conviction.

 

CB : Vous avez exercé le métier d’aide-soignante jusqu'à ce que la Maladie de Charcot se déclenche, est ce que cela a joué un rôle dans votre vision de la maladie ?

 

HM : Bien sur ! Je sais à quoi ressemble le quotidien d’une personne dépendante et je sais quels actes je souhaite ou non pour moi-même. À ce jour, je refuse gastrotomie pour me nourrir et trachéotomie pour respirer mais je me laisse le droit de changer d’avis si je le souhaite.

 

CB : Comment jugez-vous l’accompagnement médical et psychologique auquel vous être assujetti ?

 

HM : Je suis très bien suivi par mes médecins généralistes qui se soucient vraiment de moi, par les kinés, ergothérapeute. Il y’a tout une équipe spécialisé au CHU qui veille sur moi. Le gros point négatif est la prétendue prise en charge à 100 % par la sécurité sociale. Il y’a des plafonds qui ne correspondent pas à la réalité avec un reste à charge important à financer. J’aimerai que les malades SLA puissent bénéficier rapidement des avancées scientifiques disponibles. Bien sur il faut faire attention à la pharmacovigilance mais vu l’espérance de vie, il est primordiale de pouvoir bénéficier de nouveaux traitement dès qu’ils seront disponible.

 

CB : Lorsque vous parlez du point négatif concernant la prise en charge à  100 %, où voulez-vous en venir ?

 

HM : Entre autre, du fauteuil roulant électrique qui m’a été prescrit. Le plafond de la sécurité sociale est de 4000 € en arrondissant au supérieur et mon fauteuil coutait plus de 17 000 €. Je n’ai pas pu demander d’aides à la MDPH ( ndlr : Maison Départementale des Personnes Handicapées) car j’en avais un besoin urgent et les dossiers mettent plusieurs mois à être traités. En urgence, le mieux que l’on peut espérer, c’est quatre mois de délais. En complément de ma mutuelle qui prenait en charge 5 500 €, j’ai lancé une cagnotte sur Internet. Je ne serai jamais assez reconnaissante envers tous ces gens qui se sont mobilisés pour moi et qui m’ont permis de réunir la somme nécessaire.

 

CB : Vous souhaitez entamer prochainement les démarches administratives pour obtenir un droit d’euthanasie en Belgique. Quel est le regard de votre entourage par rapport à votre choix ?

 

HM : Mes proches respectent ce choix et me soutiennent. Ils se questionnent sur le moyen de me soutenir dans ma démarche même si bien sur, cela parait abstrait pour tout le monde à ce stade là, y compris pour moi. Bien sur, l’idée de l’issue fatale qui m’attend les touche mais ce n’est pas tant mon choix d’être euthanasié  mais l’idée que cette issue est inévitable. Etant donné que la maladie évolue rapidement, c’est difficile pour eux d’imaginer vraiment ce que cette maladie m’empêche de faire. Ils me proposent souvent des activités pour me changer les idées mais malheureusement la fatigue, le manque d’adaptation des locaux et toute la logistique pour que je me déplace m’empêche parfois de profiter de ces instants avec eux.

         

CB: Comment expliquez-vous la situation à votre fille ?

 

HM : Difficilement parce qu’elle a trois ans et demi. Expliquer une maladie aussi complexe à un adulte est déjà difficile alors imaginez qu’a une petite fille, ça l’est encore plus. J’utilise des mots simples : Maman ne peut pas faire ça car ses jambes ne veulent plus fonctionner, que c’est à cause de ma maladie ». Je lui explique que c’est une maladie qui est rare, pas comme un rhum qu’elle peut attraper. Dans tous les cas, je ne lui mens pas. Parfois elle me demande si cela va aller mieux, je lui répond que non cela n’ira pas mieux car pour l’instant, il n’y a pas de médicaments. Ma fille est adorable en n’hésitant pas à prendre soin de moi.

Je suis toujours impressionné par la capacité d’adaptation des enfants. Ils ont un regard sans filtre que j’adore. Ils n’hésitent pas à poser des questions et cela me fait toujours plaisir de leur répondre car pour moi, ce n’est pas tabou.

 

" Maman ne peut pas faire ça car ses jambes ne veulent plus fonctionner " 

 

CB : Par rapport à cette approche avec votre fille, est ce qu’elle sait qu’un jour, elle ne vous verra plus ?

 

HM ( émue aux larmes ): J’essaye de lui en parler, mais les mots restent coincés dans ma gorge. C’est très compliqué…

 

CB : Il y a une semaine, vous décidiez d’écrire une lettre au président de la république Emmanuel Macron. Qu’espérez-vous de lui ?

 

HM : J’espère qu’il aura le courage et l’humanisme de légiférer sur une euthanasie active, de laisser le choix au premier concerné car ce n’est pas normal de contraindre des personnes atteintes d’une maladie incurable à choisir entre une mort violente, une euthanasie à l’étranger loin de ses proches ou une mort lente dans la souffrance en France, pays des Droits de l’Homme. La sédation profonde et continue permise par la loi Léonetti intervient très tard dans la maladie. Je ne vois pas l’intérêt d’agoniser sur un lit d’hôpital, ni pour moi, ni pour mes proches. De plus, rien ne me garantit l’absence de souffrance durant cette sédation. Le président Emmanuel Macron a déclaré faire du handicap une des priorités de son quinquennat. Au vu des changements qu’il apporte, j’ai l’espoir qu’il entende mon appel ainsi que celui de nombreux français qui sont dans la même souffrance. J’attends de lui qu’il ait la même audace que lors de sa campagne présidentielle qu’il l’a porté à la plus haute fonction de notre pays. Nous connaissons tous des proches qui sont passés par des moments difficiles. Nous sommes tous concernés car nous sommes tous des êtres mortels. Qui souhaite voir un être cher souffrir ? 

 

CB : Comprenez-vous le regard hostile au droit à l’euthanasie ?

 

HM : Chacun à ses croyances et ses opinions. Il faut respecter cela, dans un sens, comme dans l’autre. Tout comme je ne demande à personne atteint d’une maladie grave et incurable de se faire euthanasier, je considère que personne n’a à me forcer de subir une vie de souffrance si je ne le souhaite pas. Le curseur de ce qui est supportable ou non est propre à chacun.  A l’instar d’Anne Bert, je souhaite mobiliser l’opinion sur ce sujet. Je demande à avoir la liberté pour mon propre corps, la liberté de choisir.

 

CB : Quel est votre souhait le plus cher ?

 

HM : Voir grandir ma fille bien sur et guérir.